Publié le 29 Sep 2016 – 00:19
PR. ALY TANDIAN, DIR DU GROUPE D’ETUDES ET DE RECHERCHES SUR LES MIGRATIONS
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‘’Il faut une politique commune de sécurité’’

 

Prof. Aly Tandian est Maître de Conférences en Sociologie à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal où il est le Directeur du Groupe d’Etudes et de Recherches sur les Migrations & Faits de Sociétés (GERM), une structure qui bénéficie du label Laboratoire Mixte International de l’Institut de recherche pour le développement (France) dans le cadre du Projet MOVIDA – Mobilités Voyages, Innovations et Dynamiques dans les Afriques méditerranéenne et subsaharienne – et a pour ambition de constituer sur le continent africain un pôle de référence sur les questions de mobilités et de migrations. En Mauritanie, dans le cadre d’une rencontre-débat sur : «penser la liberté de circulation, quelles contributions de la société civile et des chercheurs », le Pr Tandian a présenté une communication relative à la liberté de circulation intra-africaine, enjeux et défis. En marge de cette rencontre, il a accordé un entretien à EnQuête.

 

Quels sont les enjeux et défis en matière de liberté de circulation en Afrique ?

Le principe de libre circulation des personnes au sein des Etats membres n’est pas une idée nouvelle. Enoncé de façon claire dans le Traité d’Abuja de 1991 instituant la Communauté économique africaine, il est réaffirmé comme un moyen d’accélérer l’intégration à la base des peuples africains dans la vision de l’Union africaine. La promotion de la libre circulation des personnes figure également dans le Plan stratégique 2014-2017 de la Commission de l’Union africaine.

De nombreuses initiatives ont été menées et la conférence ayant réuni des intellectuels africains et la Diaspora, en 2004, a encouragé l’Union africaine à promouvoir le concept d’une citoyenneté africaine. Le Conseil exécutif de l’Union africaine en 2005 exhorte les Etats membres à faciliter la libre circulation des personnes en Afrique et à mettre en place un passeport diplomatique africain. Des consultations avec les Etats membres de l’Union africaine et les Communautés économiques régionales se sont multipliées pour la mise en place d’un cadre juridique continental en faveur de la libre circulation des personnes.

Dans une Afrique où un bon nombre de conflits persistent, où bien souvent l’appartenance ethnique prime, parvenir à créer une cohésion, à travers la liberté de circulation est primordiale. La levée des barrières administratives et politiques qui entravent le droit de circuler librement sur le continent répond à un besoin de se sentir chez soi, où que l’on se trouve en Afrique.

Quelle analyse faites-vous des difficultés en matière de libre circulation des peuples en Afrique ?

En Afrique, la libre circulation est mise à mal par les restrictions de visas pour les Africains, alors que les conditions en sont simplifiées pour les visiteurs britanniques, français ou autres. A titre d’exemple, au Botswana où un ressortissant africain se voit imposer des heures de tracasseries administratives à l’entrée, alors que le visa est accordé plus simplement à un citoyen européen. On peut également noter que certains pays soumettent les ressortissants des Etats membres tels que la République Démocratique du Congo, le Soudan du Sud ou encore l’Algérie à un visa, bien qu’ils soient porteurs d’un passeport diplomatique. Dans le même sens, on pense également à l’exclusion des citoyens malgaches ou angolais de la dispense de visa mise en place par la Southern African Development Community  au sein de la région, alors même que les deux pays en sont membres.

Pour le Marché Commun de l’Afrique Australe ou la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale, bien que les visas soient accordés avec plus de flexibilité aux citoyens de la communauté, les barrières sont encore nombreuses. Au sein de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale, certains Etats membres comme la Guinée Equatoriale, Sao Tomé et Principe, soumettent l’entrée sur leurs territoires à l’obtention d’un visa.

Par ailleurs, au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale certains pays comme le Gabon ou la Guinée Equatoriale soumettent les ressortissants des autres Etats de la communauté à des visas d’entrée. Au niveau de l’Union du Maghreb Arabe, les textes visant la libre circulation sont inexistants, la Tunisie étant la seule à autoriser l’accès à son territoire sans condition de visa aux ressortissants des autres Etats. Dans un passé récent, en 2012, la Guinée expulsait de son territoire une vingtaine de résidents maliens, sur des fondements juridiques discutables. Entre 1983 et 1985, le Nigeria, qui venait de signer le Protocole sur la libre circulation des ressortissants de la CEDEAO, a expulsé environ un million des personnes.

Au niveau des autres Communautés économiques régionales, la Communauté de l’Afrique de l’Est dispose elle aussi d’un passeport permettant des entrées et sorties multiples pendant une période de six mois pour tous les ressortissants des pays membres. Une politique de migration commune permettrait d’instaurer une harmonie dans le traitement des flux des populations. La mise en place de normes, de documents de voyage, de structures administratives identiques pour tous conduirait à placer l’ensemble des Etats membres sur un pied d’égalité. L’effectivité du principe de libre circulation est loin d’être acquise au sein des différentes régions en Afrique. Les positions divergentes des Etats sur la question constituent un frein à la libre circulation des personnes. Les préoccupations sont d’abord d’ordre sécuritaire. Un rapport du département des Affaires économiques de juillet 2011 révèle que la crainte de certains Etats membres est de voir se multiplier les risques liés aux problèmes de falsification et de prolifération d’armes de petit calibre et d’armes légères.

D’autres pays évoquent les inégalités de développement comme une des raisons de leurs hésitations à octroyer un visa à tous les citoyens africains. Ces inquiétudes cristallisées dans les positions des Communautés économiques régionales ne manqueront pas d’être renforcées dans un contexte de conflits et d’instabilité.

Quelles recommandations faites-vous pour améliorer la libre circulation en Afrique ?

En Afrique, nous pensons qu’il faut mettre l’accent sur les actions menées par les Communautés économiques régionales pour rendre effective la mobilité des personnes au sein de leurs espaces respectifs. L’Union africaine doit appuyer les efforts entrepris par les Communautés économiques régionales afin que ces dernières parviennent au même niveau d’intégration. Une telle démarche permettra d’envisager une stratégie interrégionale d’abord, continentale ensuite. Le succès de la libre circulation des personnes au niveau régional facilitera son application à l’échelle africaine.

En plus, il faut harmoniser les Communautés économiques régionales, mettre en place des systèmes de contrôle efficaces et limiter les risques de dérives. Cela revient à encourager les échanges de bonnes pratiques entre les Communautés économiques régionales. Cette approche sécuritaire de la question est fondamentale. L’existence d’une politique commune de sécurité ou, à défaut, d’un cadre de concertation et d’échanges en la matière, permettrait de jeter les bases d’une circulation libre et effective des populations. Nous pensons également qu’il faut mettre en place toutes les mesures pour que l’intégration économique et politique au niveau sous régional se réalise, tout en tenant compte de la puissance démographique de chaque Etat ou sous-région. Les politiques prises en ce sens doivent être établies proportionnellement à la situation économique de chaque Etat.

Propos recueillis par Ibou Badiane, correspondant en Mauritanie