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Des embarcations en provenance de Libye, transportant plusieurs centaines de migrants, ont fait naufrage au large de Lampedusa, île italienne proche de la Sicile. L’Organisation  internationale des migrations (OIM) fait état de 315 migrants qui auraient péri en mer. Quel commentaire cela vous inspire ?

Les images de migrants repêchés ou interceptés par les garde-côtes européens  avant de pouvoir débarquer à l’île de Lampedusa et celles des centaines de migrants enjambant, au péril de leur vie, les barbelés de Ceuta et Melilla ne cessent d’être des images-chocs, révélateurs des drames et des tragédies mais surtout de l’ampleur des migrations irrégulières. Ces formes de migrations aux figures complexes et l’énormité des risques encourus pour emprunter des filières du désespoir sont devenues, non seulement le centre de l’attention aussi bien dans les pays de départ que les pays d’arrivée et de transit, mais le quotidien.

La progression rapide des migrations irrégulières est sans doute l’une des caractéristiques majeures de ces dernières années. Elles suscitent des questionnements sur la question de l’agenda des filets de sécurité. Au niveau de certains États d’Afrique et d’Europe, des mesures drastiques ont été prises comme le dispositif Frontex pour contrecarrer en amont les migrations irrégulières vers l’Europe. Avec le naufrage au large de Lampedusa, l’opération Triton, mise en route depuis le 1er novembre 2014 sous l’égide de l’agence européenne Frontex pour surveiller et tenter de sécuriser les routes migratoires vers l’Italie en provenance de Libye et d’Egypte, connaît un réel dysfonctionnement d’où d’ailleurs l’intérêt de se demander si les mesures sécuritaires sont réellement efficientes ?

Comment expliquez-vous donc cette recrudescence du phénomène des embarcations de fortune qu’on croyait révolu ?

Une chose est claire, les embarcations de fortune continuent à s’échouer sur les côtes européennes même si le rythme des arrivées a connu un essoufflement puis un regain. Le drame qui vient de coûter la vie à plusieurs centaines de migrants, à Lampedusa, est la énième tragédie sans que réellement les Etats du Sud ne se mobilisent pour répondre efficacement. Si pour certains de ceux-ci, des réponses vagues quant aux solutions à élaborer afin de prévenir de telles tragédies sont définies quotidiennement, pour d’autres, la logique sécuritaire semble être suffisante pour résoudre les migrations irrégulières.

Le phénomène est beaucoup plus complexe pour être géré que par des politiques. Il faut se pencher sur les véritables raisons des déplacements et l’envie démesurée de vouloir partir quel que soit le prix à payer. L’envie de se réaliser, le besoin d’échapper aux incessantes formes d’injustice, la quête d’un emploi réconfortant, une gouvernance angélique et un avenir alléchant sont, entre autres, autant de raisons qui justifient la recrudescence du phénomène des embarcations.

 Est-ce à dire qu’en dépit de la crise économique qui secoue durement l’Europe, de jeunes Africains  continuent à croire que l’espoir est de l’autre côté de la Méditerranée. Cela ne traduit-il pas l’échec de la politique de jeunesse des dirigeants africains ?

Les embarcations de fortune, les grillages de Ceuta ou les barrages des Canaries ou d’ailleurs ne décourageront pas tous ceux pour qui la galère d’un clandestin en Europe vaut mieux que de croupir dans un village sans espoir du Sahel ou la banlieue oubliée d’une mégalopole africaine. Les politiques de codéveloppement tant vantées ces dernières années, et qui devaient fixer les candidats au départ chez eux, ont piteusement échoué.