Sources : http://www.walf.sn/actualites/suite.php?rub=1&id_art=48562


Dr. Aly TANDIAN, Enseignant-Chercheur au Département de Sociologie de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, spécialiste des questions des migrations : ‘Pourquoi l’Europe continue d’être la destination rêvée des jeunes d’Afrique, d’Amérique et d’ailleurs.
Il urge de relire les migrations. Dr. Aly Tandian a déjà fait partager cette conviction aux experts réunis à Nüremberg, en Allemagne, du 9 au 13 juillet dernier pour les besoins du Forum transatlantique sur la migration et l’intégration (Tfmi). Cet enseignant-chercheur au département de Sociologie (Université Gaston Berger de Saint-Louis), membre associé du Centre d’anthropologie sociale (Lisst) de Toulouse et collaborateur scientifique du Centre d’études de l’ethnicité et des migrations (Cedem – Université de Liège, Belgique) revient sur cette question d’actualité, dans l’entretien qu’il nous a accordé, avant de jeter un regard critique sur les mesures prises pour freiner l’émigration clandestine et les structures mises sur pied à cet effet.

Wal Fadjri : En tant que spécialiste des questions de migrations, quel regard portez-vous sur l’actualité des migrations en Afrique et dans le monde ? 
Dr. Aly Tandian : Bien évidemment, ce qui fait l’actualité des migrations en Afrique, ce sont les flux des barques qui quittent, durant ces dernières années, les côtes ouest-africaines pour accoster aux Iles Canaries en Espagne. En tant que sociologue, je refuse de me limiter aux simples déplacements des pirogues, aux mobilités des personnes, etc. Non, ce qui m’intéresse en réalité, c’est pourquoi l’Europe continue d’être la destination rêvée pour les populations qu’elles soient originaires de l’Afrique, de l’Amérique ou d’ailleurs. Faut-il le rappeler encore, au cours de ces dernières années, la migration a suscité de nombreuses interrogations et recherches qui ne cessent d’influer sur des politiques dans nombre de pays. Néanmoins, le phénomène demeure difficile à cerner à cause des ambiguïtés qui se cachent derrière certains concepts. Si la sécheresse ou les crises politiques sont des raisons fréquemment évoquées pour expliquer les déplacements des populations du Sud vers le Nord, bien d’autres facteurs entrent en jeu et échappent souvent aux analyses mécanistes qui tentent d’expliquer les choix des destinations migratoires. En effet, si les précédents évènements ‘douloureux’ dans les enclaves espagnoles, Ceuta et Melilla, ont permis de mesurer la détermination des candidats à la migration, plus récemment, les pirogues sénégalaises qui s’échouent sur les côtes espagnoles nous édifient sur l’intensité du désir de chercher fortune en Europe. De mon regard de sociologue, je peux signaler sans tomber dans des catégorisations ou dans des schémas caricaturaux qu’au Sénégal, la migration est au centre des discussions des populations. Elle est même devenue un des rares thèmes de discussion qui réunit toutes les franges de la population locale, quels que soient l’âge, le sexe, le groupe ethnique, le niveau scolaire, le statut professionnel, etc. Cela a été surtout rendu possible par le fait que d’une part au niveau du système des représentations locales, des phototypes sont fréquemment évoqués lorsqu’il est question de parler de la migration ; et d’autre part, le voyage pour la majorité des Sénégalais n’est pas simplement synonyme d’acquisition d’un travail stable, mais elle symbolise parfois la voie à entreprendre pour faire fortune et acquérir aux yeux de ses pairs un prestige social. 

Wal Fadjri : Devrait-on alors relire les migrations ? 
Dr Aly Tandian : Oui, il est devenu opportun de relire les migrations, car les réelles motivations des départs des candidats au voyage restent peu connues ! Aujourd’hui, l’envie de migrer s’est davantage accentuée dans les pays du Sud, car l’impact des chaînes de télévision à grande audience, comme par exemple TV5, Canal Horizon, Cnn ou Euronews, sur les populations ne fait qu’aviver cette illusion. Ainsi, le postulat présentant la recherche des meilleures conditions de vie comme une des causes principales de la migration n’est plus à négliger. Il trouve son fondement dans la dégradation persistante des structures sociopolitiques et économiques locales, mais aussi dans la non productivité de la pêche qui n’attire plus de nombreuses populations qui choisissent de migrer pour améliorer leur quotidien. La rumeur aidant, nombreux sont les jeunes qui ont espéré qu’en Europe, ils peuvent réussir à faire leur vie comme tous ces migrants qui sont revenus au Sénégal avec argent, voitures, pour construire de belles maisons et organiser de grandes cérémonies. Pour ces candidats à la migration, le voyage vers l’Europe constitue un abrégé possible vers la réussite économique absolue, sans laquelle ils auront perdu leur dignité sociale dans une société sénégalaise devenue de plus en plus une société où domine le paraître. Ainsi, le maître mot pour ces jeunes candidats au voyage est ‘Barça ou Barsaax’ (Aller à Barcelone ou mourir). Malheureusement, nombreux parmi ceux-ci ont échoué ! Ils étaient partis à bord d’une pirogue de fortune bravant la mer et ses vagues pour faire fortune en Europe, passant des nuits d’angoisse et de peur. L’Eldorado espagnol ou européen de façon générale, ils l’ont juste entrevu avant de retourner au Sénégal. 

Wal Fadjri : Et les mesures mobilisées pour freiner les migrations (…)
Dr. Aly Tandian : Pour tenter de freiner l’émigration clandestine vers l’Europe, de nombreuses politiques sont définies et en permanence d’ailleurs ! Pour entrer dans les détails, récemment, l’Union européenne a débloqué un fonds de rapatriement de 30 millions d’euros pour 2005-2006 finançant les vols charters, accompagné de mesures de réintégration dans les pays d’origine et de garantie de droits fondamentaux. Le Sénégal a lancé fin 2005 un plan de Retour vers l’agriculture (Reva) mais un an après, acteurs agricoles et clandestins rapatriés d’Espagne et du Maghreb montrent peu d’entrain face à cette initiative. En clair, ‘Barça ou Barsaax’ (Aller à Barcelone ou mourir) atteste l’acharnement des candidats à la migration qui veulent faire fortune avec des embarcations de fortune. Les grillages de Ceuta ou de Melilla et les hélicoptères de surveillance des eaux maritimes du Frontex décourageront-ils tous ceux pour qui la galère d’un clandestin en Europe vaut mieux que de croupir dans un village sans espoir d’ici ou d’ailleurs ? Je ne pense pas ! J’en doute véritablement car le dimanche 29 juin, quelque 179 clandestins africains sont arrivés à bord d’une barque dans l’archipel espagnol des Canaries et parmi eux, il y avait 26 mineurs ! Faut-il alors se demander avec ces départs irréguliers de candidats à la migration si le plan Reva, les patrouilles du Frontex, etc., dévoilent leurs limites ? Je ne sais pas ! Mais je peux dire que les politiques sont dans l’invention de formule. Chaque jour, ils en créent une nouvelle ! On nous parle de la migration choisie ‘ici’, la lutte contre le regroupement familial ‘là’ ou du refus des régulations massives ‘là-bas’. 

Wal Fadjri : Pourtant, des voix autorisées s’élèvent en Europe contre la politique dite des quotas…


Dr. Aly Tandian : Ainsi, il y a quelques jours en France, la Commission Mazeaud a rejeté ce principe des quotas, un principe qui pointe sur les lèvres de certains politiques, malencontreusement, tous les jours ! Ce ne sont pas les quotas qui vont résoudre les problèmes, car ils sont irréalisables et sont sans aucun intérêt. Ils ne sont pas chimériques. Et d’ailleurs, la Commission Mazeaud souligne de manière précise qu’‘une politique de contingents migratoires limitatifs serait sans utilité réelle en matière d’immigration de travail, inefficace contre l’immigration irrégulière’. Je ne vais pas jusqu’à dire : ‘Non à une immigration choisie ! Oui à une immigration concertée’, mais je peux tout de même dire que l’Europe vieillissante fait le tri chaque jour. Entre 2010 et 2030, l’Europe comptera 25 millions d’actifs en moins ; ce qui rendra l’immigration incontournable. De mon regard de sociologue, il ne s’agit pas de dire c’est bon ou pas d’arrêter ou d’encourager les flux migratoires ! Encore une fois, mon regard ne se résume pas à dénoncer, mais juste de désigner la constitution du phénomène ou la manifestation des déplacements avec d’un côté la définition de politique et de l’autre, la mobilisation de stratégies pour échapper ! En participant au Forum transatlantique sur la migration et l’intégration (Tfmi) organisé par le German Marshall Fund et le Robert Bosch Stiftung à Nuremberg du 9 au 13 juillet, j’ai essayé de partager avec les uns et les autres, des sociologues, des journalistes, des membres d’organisations non gouvernementales (Ong), etc., en signalant que ce qui pose problème en matière de connaissance de la migration, c’est qu’on s’est retrouvé très vite avec autant de spécialistes que de migrants et, du coup, il est devenu difficile d’identifier les experts et les chasseurs de primes ! Juste pour caricaturer, on se retrouve avec des experts de la migration qui n’ont jamais vu de migrants et pourtant, on entend ceux-ci animer des conférences, donner des conseils ou proposer des rapports ! Avec les autres collègues du Tfmi, j’ai espoir que des idées riches vont émerger, car avec l’expertise et la mise en réseau de professionnels originaires de plus de vingt pays, la pertinence des réflexions s’est sentie en peu de temps. Il faut alors se féliciter que de telles structures existent. 

Propos recueillis par El H. Thiendella FALL